Recueil de poèmes : Au revoir tendresse
Infime aspérité
Puisse-t’il vous écrire du fond de l’ignorance
du haut de ces falaises où les oiseaux s’avancent
ces mots que rien n’a pu ramener au néant
pas plus que ces obus du fond de l’océan
ce drame qui n’est rien mais qui est tout peut-être
vous dire “Je t’aime” enfin avant de disparaître
Cachemire
Je tisse des regrets nés de ton cil épars
Ma vie est décousue mais tu n’es nulle part
J’aurai du le tisser, ce temps qui nous enlève
comme tu étais belle – comme la vie est brève
Mais me voilà partout portant ce vieux manteau
cousue dans ma poitrine, rapaillé sur ma peau
ce fil qui s’égare est devenu si noir
de quelle couleur était le temps de ton regard ?
Parfum d’oiseau
Ne laissez pas mon cœur s’éloigner des oiseaux.
Du parfum d’une fleur. Des bourgeons des rameaux.
Ne laissez pas mon cœur ignorer les jonquilles
Les premières lueurs du soleil quand il brille
Le lézard indolent sur une pierre chaude
Le grand papillon blanc aux ocelles émeraude
Ne laissez pas mon cœur oublier le printemps
Les noctonètes et l’aube en reflet sur l’étang
La ligne des fourmis, le brame du chevreuil
Ne laissez pas mon cœur trop près de mon cercueil
Cœur de soie
Quand il fut assez clair
que je devais mourir
Que les papillons verts
aimés de ton sourire
s’éteindraient dans le vent
Laisseraient aux frimas
Ce délicat printemps
Né de ton cœur de soie
Iris
Nageant à bout de coeur nous étions emportés
le fleuve avec ses fleurs et les oiseaux chantaient
Tout ces soldats au bord élevaient leurs empires
étaient trop loin déjà pour nous entendre rire
Tu regardais le ciel et je nageais vers toi
ailleurs la guerre tonnait où tu n’existais pas
Le mal de terre
Le mouvement des pierres
Sur le sable fin
Du gravier lunaire
Au creux de ma main
La douce Lumière
De la Terre au loin
Reflet d’une mer
Bleue. Comm’ j’ai besoin
Un océan clair
Sur le sable fin
Apesanteur chère
D’une larme au loin
Cet ange que j’aimais
Va-loin-ô ma délicate aparté
Tu es de ces akènes
que le vent veut porter
Et chaque fois fais tienne
L’étrange étrangeté
Qui fis de toi humaine
Cet ange que j’aimais
D’âme née
Quand les fleurs vont se faner
Quand les pleurs vont égrainer
Mon cœur je n’ai jamais aimé
Mais quand enfin sont étouffés
Les rêves que l’on a tous faits
Au fond de nous on le savait
L’important c’est d’avoir aimé
Il n’y a rien d’autre à sauver
Au fond de nous on le savait
Par-delà tout. Quand tout se tait
L’important c’est d’avoir aimé
Boom boom ba
C’est quand je regardais ton âme iridescente
Dans le son des graviers. Entre mes mains tremblantes
C’est quand se soulevaient les vagues sans pouvoir
Emporter avec elles l’envie de te revoir
C’est quand malgré l’orage et malgré la tempête
Il y a ton soleil tout au fond de ma tête
De ces incohérences qui donnent la nausée
Comme si malgré l’absence nos vies se poursuivaient
Saṃsāra
Les feuilles de l’automne tombent dans l’eau figée
aimables métronomes ; je suis leur naufragée
El’ laissent comme empreinte, tournoyer, éperdues
mon âme ; pour absinthe, mes défuntes vertus
Vous qui croyez à peine au bout de votre cime
à la douleur humaine des feuilles dans l’abîme
Regardez les danser – comme moi sur la rive
à notre étendue noire sans que rien ne survive
Légèreté dans l’incendie
Tethis sais-tu combien ce monde
Est triste pour la fleur sur l’onde
Elle fut jetée un jour. On prétendit s’aimer
On prétend tant de choses qui n’arrivent jamais.
Dérivent nos silences emportés loin d’ici
Tandis que tout s’estampe-rattrapé par la vie
La fleur nous a jetés dans ce jour immobile
Nous a vus dériver. Promettre l’impossible
Qu’a-t-elle murmuré tandis que nous flottions
Dans l’onde aussi fragile- dire que nous nous aimions
L’univers ne sait pas
Je suis au banc de sable
Malade et fatigué
Ma marche interminable
Vas-tu te terminer ?
Mon pas s’enfonce et la
blondeur inconsolée
Me rappelle ton corps
Par le sol avalé
Vais-je mourir encore
Au pied de l’absolu
Je souffre mille morts
Depuis que tu n’es plus
Ma marche, était hier
Altière tant elle était
Enviable, douce, légère
Quand tu me regardais
Ma marche est à présent
Lourde sans grâce aucune
Le vide m’emplissant
De tout ce que nous n’eûmes
Tes yeux sont l’océan
Où je me consolais
Ta bouch’ que j’aimais tant
Enfuie évaporée
Pourquoi me laisses-tu
Où rien ne peut renaître
Sans toi je ne suis plus
Et je ne veux plus être
Je traverse ce monde
Misérable sans toit
Car tout ce qui y compte
C’est l’absence de toi
Le chagrin des pierres
Les yeux percés de nuit versaient dans les fougères
tout à nos embolies nos âmes passagères
tu y étais marchant, affligeante et candide
ton cœur battait le vent, ta main battait le vide
tu y étais marchant et j’étais loin derrière
l’amour est un torrent qui ne sait rien des pierres
mon cœur brassait le sang, ma main brassait le vide
l’amour est une pierre dans le torrent qu’elle ride
toi tu étais devant et dans les remous clairs
j’avais le bruit du vent et le chagrin des pierres
Ne regarde pas le ciel quand il tombe
J’ai couru après des chimères aussi loin que le jour portait
J’ai traversé tant de déserts que je ne puis plus les compter
Mon corps est maintenant sans âge et je ne sais plus le repos
Je traverse ce paysage où les corps tombent sans un mot
Partout je regarde – Folie ! – me crie le temps qui n’a plus cours
Partout je regarde – Folie ! – et le temps file sans retour
Ces lieux où je fus sont d’années et tout à ma course se perd
Je suis le fou et je le sais la pluie se trame sous l’éclair
Tu
La brusque avalanche de souvenirs froids
Pourtant
tu ne trembles pas
Des inondations dans tes rêves arides
Les mots d’un garçon quand tu te suicides
Aux vains tourbillons tu ne trembles pas
Et dans ce néant tu étends tes bras
Tu regardes ailleurs derrière les ravines
Ces petits sillons que ta vie dessine
Tu regardes ailleurs étranger soldat
Des obus partout. Tu ne trembles pas.
Partout des otages et partout des morts
Faut-il être fou ? Faut-il être fort ?
Partout des orages et partout des corps
Tremblent dans des trous.
Toi tu rêves encor
Mercure sensible
Dans le creux des cratères ; à mille lieux de ce monde
Nous sommes frères
des pierres qui tombent
Ambrose
Vois-tu mon cœur je suis tombée
au bord d’un long ruisseau de rires
je t’ai aimé – j’ai succombé
où les étoiles vont mourir
Mais nul voile sur mon cœur
Nulle tristesse sur mes lèvres
je garde en moi ce doux bonheur
C’est encor de toi que je rêve
Vois-tu mon cœur je suis tombée
Mais l’Eternel a son chemin
L’Amour est seule Vérité
Et j’ai ta paume dans ma main
L’amour inconnu
Je ne suis jamais seule malgré l’ombre et le froid
Les fleurs sur cette tombe. Je pense encore à toi
Je ne suis jamais seule dans l’écho de ce monde
Que je traverse seule sans que tu me répondes
Malgré les déserts, ces fleuves d’autrefois
L’absence qui m’enserre. Je pense encore à toi
Ce n’est pas toi ce monde où tonnent ces obus
Ces soldats et ces bombes qui hant’ encor’ nos rues
Ce n’est pas toi ce monde. Ce n’est pas moi non plus.
Moi je tends cette gerbe à l’amour inconnu
Futile est la raison du froid qui tue la brème
A peine un mot, quelques prières
Et je suis à nouveau poussière
Qu’il soit béni celui qui voit
La fleur fleurir entre ses doigts
L’insecte vivre entre ses lèvres
Et une étoile dans ses rêves
Mauves
Tu regagnes les roses abandonné soldat
La beauté de ces choses ne te concerne pas
Sur la prairie des sternes tournoient, des jours entiers
qu’elle est triste la terre où tu as tournoyé
tout s’en va – hors d’atteinte – et n’est plus à cette heure
que cette aimable femme qui te regarde et pleure
Aube
Les cerisiers en fleurs longent le bord de l’Hyre
et même si tu pleures veux-tu te souvenir ?
dans l’aube qui fredonne sa miroitante lyre
dans l’eau qui tombe et tonne veux-tu te souvenir ?
des rameaux aux paroles, des sèves aux soupirs
les eaux comme les Hommes vêtus de souvenirs
dans l’aube qui fredonne sa miroitante lyre
sur toi quand l’aube tonne veux-tu te souvenir ?
Je te quitte
Où êtes-vous passé tandis que le temps court
Emporte à pas pressés nos cœurs et nos amours
Souvenez-vous l’étreinte, l’empreinte de mes lèvres
Car aujourd’hui défunte je vous regarde et rêve
Souvenez-vous mon corps, ma vie d’adolescente
Combien vous étiez fier entre mes mains tremblantes
Combien nous nous aimions je suis votre infidèle
Pourtant je vous aimais ; mais je m’en vais au ciel