❝Je m’appelle Mary Ellen Mory et je vais oublier que j’existe.
A ceux que j’aime, dire que je les reconnais. Le jour où ce ne sera plus le cas alors je serai morte, et il faudra me tuer parce que les zombies font du mal à ceux que nous aimons.❞
Je ne sais pas si beaucoup de recueils de poèmes commencent comme le mien, au fond ça n’a pas vraiment d’importance. Je pourrais vous parler de ma maladie avec de grands noms latins. La protéine qui précipite dans ma tête (je préfère dire qu’il neige), ce qui ne tourne pas rond au fond de ma caboche, d’aluminium et de prions qui ne croient pas en Dieu, des petites choses que j’oublie, puis des grandes, je pourrais vous parler de ça, de mes phases de lutte et d’abandon, de colère et de peur, mais comme vous je préfère m’évader. Après tout je ne suis qu’une victime silencieuse parmi tant d’autre ; Il n’y a qu’étendus dans un lit d’hôpital, la peur au ventre que l’on comprend cela vraiment, le reste est suspendu aux ailes des papillons, fragiles comme eux. J’ai été un papillon jusqu’à mes 20 ans, maintenant je redeviens chenille au fond de mon œuf. Le temps tourne à l’envers à mesure que l’on perd le fil de soit.
Ecrire m’aide à exister encore, à me figer encore vivante et à cacher mon moi dans la gangue protectrice du papier. Voyez y une thérapie si vous voulez. C’est ce que je fais ici. J’aimerai juste vous dire, à la fin de ce recueil, pour ceux qui le liront, de sourire un peu plus si vous le pouvez quand vous vous remémorerez d’une histoire ou d’un ami. C’est illusoire sans doute, comme une personne décédée aimerait sans doute voir sourire et être heureuses les personnes qu’elle aime. Vous pourriez aussi me rétorquer que je suis encore vivante, bien vivante, que je devrai me jeter à corps perdu dans ce qui me reste, mais créer des souvenirs pour les perdre m’est aussi atroce, pour moi comme pour ceux qui les partageront avec moi. C’est un peu comme espérer qu’un arbre au tronc saigné fasse de nouvelles branches. La mémoire c’est ce tronc là pour moi. Mes feuilles tombent une à une et c’est tout en attendant que l’hiver soit là et qu’il n’en reste plus aucune. Je ne cesse de vous jalouser.
Ces souvenirs sont précieux… Alors faites les vivre avec l’espoir qu’ils ne vous trahissent pas. J’espère aussi que l’avenir sera beau et plus simple. Plus simple qu’en mon temps. Pour revenir au recueil, j’ai commencé à écrire il y a longtemps parce que j’étais une passionnée de lecture, mais je dois avouer aussi que je n’ai jamais vraiment aimé les poèmes des autres, je les ai toujours trouvé trop personnel, snobs, m’as-tu-vu de moments précieux, vulgaires ou trop égoïstes aussi parfois et pour les « grands » auteurs trop imbus d’eux-mêmes et d’une idée de l’écriture au dessus de tout que je n’ai pas. Pour moi au dessus de tout il restera le chocolat et les rires de mes amis, jusqu’à ce que ça aussi j’oublie que ça existe. J’avais cette idée là de la poésie, mais ça ne m’a pas empêché d’en écrire, de faire moi aussi partie de ces ma m’as-tu-vu en besoin de réconfort. Le poème colle à l’âme, il est immédiat, plus immédiat qu’une nouvelle en tous cas et on lui laisse couler sa vie. On commence par une peine de cœur et puis ça reste en nous comme un traitement pour tout. La feuille est toujours là, pour mes larmes, mes doutes, le reste. C’est le seul docteur qui ne me demande rien, que je marque vraiment de ma maladie, qui n’existe que pour moi. Je redoute ce moment où je serais folle et où je ne saurais plus écrire du tout, toute seule avec ce qui me restera d’angoisses. Parfois ma main tremble sur le clavier et j’ai des sueurs froides.
Alors j’écris plus que je peux, tout ce qui me vient, alors que je devrais dormir je ne dors pas mais j’ai peur. De ce jour là où ma main ne trouvera plus les touches comme un instrument désaccordé. Du cri déchirant qui ne naîtra pas sur mes lèvres alors qu’il devrait ; que je serai devenue un poids mort. C’est ce silence qui me fait peur comme j’imagine certains ont peur de vieillir, cet inéluctable. Je suis sûr que ça me rendra folle. Si je suis encore un peu consciente avant d’avoir tout perdu je me tuerai ce jour là. La vérité c’est que je ne suis pas plus courageuse qu’une autre, que je n’ai pas l’âme d’une héro, que pourtant c’est ce qu’il faudrait. En attendant je vous préviens, mes poèmes sont plutôt simplistes et ils seront sans doute mauvais. Si vous voulez les lire quand même je vous aurais prévenu. Il y a tellement de livres magnifiques, j’assume que le mien soit sans doute parmi les mauvais et que vous perdrez sans doute votre temps. Que vous devriez vivre d’autres moments mais j’ai besoin d’exister encore par moi, ce moi là, pour les autres.
C’est un acte égoïste… Juste les lignes d’une fille paumée en bout de course avec la cervelle en compote qui a besoin de parler d’elle. Je ne sais pas de quelle époque vous serez mais dans la mienne les vaches qui avaient cette maladie étaient incinérées. J’ai de la compassion pour elles désormais, c’est con, même vu les conditions inhumaines ou elles sont élevées, elles avaient sans doute des moments qu’elles aimaient dans leur journée et dont elles auraient aimé se souvenir, au dernier moment, partir avec rien, c’est comme ne pas avoir vécu…
Si mon âme existe elle sera en petit bout et si elle n’existe pas, je n’aurais rien à regretter. Il est bon de regretter aussi, parfois. Je le fais tant que je peux. Et puis au final je ne suis rien moins qu’un steak, comme ces vaches. Moi, ils me garderont en vie le temps qu’ils pourront, j’ai peur de cela aussi, d’être un légume, je crois que c’est encore pire que d’être un steak. On entend pas les légumes crier… Même les végétariens s’en foutent. _ Je me souviens, ce mot me rend triste, que nous l’avions étudiés, cette maladie lors de mes études, un prof nous avait alors dit que nous avions peu de chance de la contracter car compte tenu de notre niveau de formation, je faisais alors un parcours brillant dans une grande école, nous faisions suffisamment marcher nos cellules grises. Il faut croire qu’il se trompait sur tout, ou que les miennes avaient pris le transport en commun et étaient en vacances, en vacance elles l’étaient sans doute, et plus encore maintenant. Aujourd’hui elles font simplement leur valise sans moi. Je ne me souviens même pas de la couleur de ma brosse à dents, elles l’ont embarqué avec elle, mais moi pas.
Je suis devenue une âme étrangère et tant que je reste un peu humaine j’aimerai que ces mots soient ce qui reste, et ce que j’ai de plus précieux, mon dernier souvenir. Une sauvegarde mon Moi avant que le fichier soit totalement corrompu.
A ceux qui ne me connaissent pas, simplement que j’ai existé. Sans grande prétention, je n’attendais pas devenir Reine, de chérir leur intégrité.
On s’aperçoit bien assez tôt que nous sommes tous esclaves.
Que la vie ne vous prive que d’elle-même, sans vous enlever sa mémoire.
Lorsque je serai devenue une simple page blanche
il restera ces mots et je serais plus qu’aucun auteur n’a jamais été
morte de mon vivant et vivante par le papier
Mary
A ma Mémoire, avec tout ce qu’il me reste d’ironie.